3 questions à Damien Butin, ingénieur paysagiste

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous dire ce qui guide votre regard sur le paysage et la nature en ville ?
Je suis Damien Butin, ingénieur paysagiste de formation (ISA – École du paysage de Lille, 2008). Depuis plus de 15 ans, j’ai exercé à la Ville de Bordeaux puis à Bordeaux Métropole, où j’ai piloté différents projets d’aménagement paysager et de gestion du patrimoine naturel, comme le réaménagement des quais de la rive droite et le Parc aux Angéliques (40 ha).
En 2022, je suis nommé à la direction stratégie et maîtrise d’ouvrage du patrimoine naturel à Bordeaux Métropole, je travaille sur des politiques publiques intégrées autour du paysage, de la nature en ville, de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations. Actuellement élève ingénieur en chef à l’INET de Strasbourg, je réintégrerai la Métropole en 2026.
Je suis convaincu que le paysage et la biodiversité sont des catalyseurs puissants de transition, et j’œuvre pour une approche systémique et fédératrice, où la nature en ville devient un levier central de résilience urbaine.
Comment passer d’une approche esthétique du paysage à une approche écosystémique et stratégique dans les politiques publiques ?
Cela suppose d’abord de revenir sur l’histoire de cette notion. Longtemps perçu comme un objet artistique, le paysage émerge véritablement dans la peinture de la Renaissance, où il devient un genre à part entière. Comme le rappelle Alain Roger dans son Court traité du paysage (1997), ce n’est pas la nature qui fait le paysage, mais la culture : par le processus d’« artialisation », l’art transforme un fragment de nature en paysage, en le rendant digne d’attention et de représentation. Ce regard hérité de l’histoire de l’art continue d’imprégner nos politiques publiques, trop souvent centrées sur l’embellissement du territoire et sa mise en scène.
Or, les défis contemporains – dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité, crises sociales et territoriales – imposent de penser le paysage autrement. Il ne peut plus être réduit à un décor figé ou à un objet contemplatif : il doit être envisagé comme un système vivant, producteur de services écosystémiques, support de régulations naturelles et socle de résilience face aux bouleversements en cours.
Adopter cette perspective implique de dépasser l’approche purement esthétique pour intégrer une dimension stratégique. Le paysage devient alors un levier central d’aménagement durable, capable d’articuler les usages, de favoriser la biodiversité, mais aussi de renforcer le lien social et l’attachement collectif aux territoires. C’est l’objet du plan paysage et biodiversité (PPE) développé notamment au sein de mon ouvrage « Politique paysagère, pour une ville verte et durable » (Editions Berger-Levrault).
Cette transition appelle également un renouvellement des modes de gouvernance. Comme l’a souligné Simard (2011) au Québec, l’acceptabilité sociale constitue désormais une condition incontournable de toute transformation paysagère. Il ne s’agit plus seulement de planifier pour, mais de planifier avec : associer les citoyens en amont, reconnaître leurs attachements symboliques et affectifs aux lieux, et co-construire les projets pour en faire de véritables biens communs. Le paysage devient ainsi un espace de négociation collective, où se croisent des logiques parfois divergentes mais qui, mises en dialogue, permettent d’élaborer des trajectoires de transition écologique robustes et partagées.
Dans cette perspective, paysage et écologie apparaissent comme un outil de médiation et de cohérence territoriale nécessaire à l’établissement des projets de territoire : ils articulent les dynamiques locales, mettent en synergie les initiatives et inscrivent le paysage et la biodiversité au cœur des politiques publiques.
Ainsi, loin d’être un simple arrière-plan à contempler, le paysage et la biodiversité doivent être reconnus comme des leviers structurants pour fabriquer la ville et les territoires de notre ère contemporaine. Véritables infrastructures vivantes, ils sont un des antidotes essentiels aux crises actuelles et futures, en permettant de répondre aux enjeux de transition écologique et en nourrissant à la fois la résilience écologique, la qualité du cadre de vie et le lien social.
Dans vos travaux, comment articulez-vous les échelles (du grand paysage au projet local) pour aller vers cette ville durable ?
Au sein de mon ouvrage « Politique paysagère, pour une ville verte et durable », j’insiste sur l’importance de partir d’une lecture fine du grand paysage : comprendre ses caractéristiques physiques, ses ressources naturelles, ses dynamiques, mais aussi ses vulnérabilités.
Cette connaissance permet d’identifier les enjeux majeurs – continuités écologiques, ressources en eau, paysages agricoles ou forestiers – et de ne pas penser la ville hors-sol, mais bien ancrée dans sa réalité territoriale.
Le plan de paysage et écologie devient alors un outil stratégique : il fixe des objectifs de qualité paysagère et écologique, puis les décline en orientations concrètes jusqu’à un plan d’action. Ce dernier articule des actions à court, moyen et long terme, pour préserver, recycler, ménager ou aménager la ville en réponse aux défis contemporains tout en préservant paysage et ressource naturelle qui font par ailleurs notre identité : changement climatique, érosion de la biodiversité, artificialisation des sols. Mais cette démarche n’est pas uniquement technocratique. Elle repose sur la co-construction avec les acteurs du territoire – élus, techniciens, habitants – afin d’assurer l’acceptabilité sociale et la cohérence des dynamiques locales.
Le paysage devient ainsi un vecteur de médiation, un langage commun pour relier les échelles et irriguer l’ensemble des politiques publiques.